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Chapitre 1
1er juillet 2034
Hôtel Astoria, Grèce – 1er juillet 2034 – 14h55
La saison était chaude, même pour la capitale grecque qui pourtant en avait vu bien d’autres. Les clients de l’hôtel avaient d’ailleurs décrété que la climatisation du lieu était un outil de première nécessité et qu’il serait bien mal aisé de s’en passer. Le palace était donc assiégé par les touristes bien trop contents de profiter de l’air frais, de la piscine et de ses autres multiples atouts pour vouloir plutôt visiter les richesses de la ville.
Mais un tel engouement, même s’il était parfaitement justifié, incluait également que le personnel était totalement débordé. Les demandes des clients ne cessaient de fuser de part et d’autres de la somptueuse bâtisse et il n’était pas rare de voir un serveur ou un jeune groom courir à vive allure sur les pierres marbrées, évitant souvent de justesse quelque glissade à l’issue fatale.
Dans les cuisines, le chef hurlait ses ordres plutôt qu’il ne les énonçait, mais le pauvre avait fort à faire : L’heure du diner approchait et il y avait le gala du lendemain qu’il fallait commencer à préparer.Cette année, et pour la première fois en Grèce, Athènes accueillait un grand prix de Formule 1. Une immense piste avait ainsi été bâtie dans la ville même, à proximité de l’océan. Cette localisation extraordinaire avait rapidement fait des curieux qui, même s’ils n’étaient pas forcément férus de sport automobile, avaient bien envie de contempler le cadre idyllique où aller se dérouler l’attraction de l’année. D’ailleurs on pouvait même apercevoir l’Acropole.
Les stars du moment avaient alors décidé de faire le déplacement, accompagnées bien entendu par certains des plus grands businessmen du moment qui ne voulaient pas rater un tel évènement. Le gouvernement grec, toujours à l’affut de bonnes affaires, avait souhaité profiter de l’occasion pour mettre en œuvre un gala de charité. Non seulement cela augmenterait encore les emplois, même si seulement de façon temporaire, mais cela permettrait de renforcer l’image de la ville au niveau mondial.
Le lieu avait été difficile à trouver, car la concurrence était rude. Mais finalement le choix s’était porté sur l’hôtel Astoria, un palace cinq étoiles dont la réputation n’était plus à faire. Et puis le charisme de sa gérante apporterait également un atout non négligeable à cette campagne de promotion.Noora était enchantée de sa victoire mais la somme de travail que cela lui demandait, ainsi qu’à ses employés, était nettement à la hauteur de l’évènement. D’ailleurs, l’ensemble de son personnel semblait littéralement sur les rotules et c’était avec hâte qu’ils attendaient la fin de toutes ces festivités.
Un serveur à peine sortit de l’adolescence, grand et quelque peu dégingandé, manqua d’ailleurs de la percuter lors de son entrée dans le hall de l’hôtel. Il s’excusa rapidement, rouge de honte, et reparti bien vite la tête basse. Malgré son évidente beauté, Noora n’en restait pas moins une gérante sévère qui avait su s’imposer auprès de ses employés.
- Mademoiselle Andries.
La voix sombre la tira brusquement de ses pensées et elle se retourna pour aviser un homme d’une cinquantaine d’années dont les cheveux noirs de geai étaient impeccablement plaqués en arrière. John Stirling travaillait avec son père même avant sa naissance et c’était aussi grâce à son aide précieuse qu’elle était parvenue à faire prospérer son héritage de la sorte.
Dardant sur elle un regard noir et froid qui lui était familier, Stirling fit un léger mouvement de tête vers l’imposante porte qui conduisait à l’aile du palace réservée au service.
- Une personne qui n’a pas souhaité décliner son identité, demande à vous parler par téléphone. J’ai pensé faire transférer cet appel dans votre bureau à moins, bien sûr, que vous n’ayez d’autres exigences…
Il eut un léger mouvement d’épaules pour appuyer ses dires. Son attitude semblait légèrement hautaine, comme s’il se considérait comme un égal mais restait néanmoins parfaitement respectueux de l’étiquette. Pourtant Noora savait qu’il n’y avait rien de cela et même s’il était évident que Stirling exécrait le contact humain, il n’en restait pas moins un excellent gérant dont elle n’avait aucune envie de se séparer…
Noora Andries
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Calant une mèche bouclée derrière son oreille, Noora plissa légèrement les yeux avant d'esquisser un petit rictus.
Stirling, ce cher ami... Quand elle était plus jeune, l'homme lui faisait froid dans le dos, et chacune des ses apparitions, lesquelles s'avéraient être toujours impromptues, lui hérissaient jusqu'au moindre petit poil. Certes, avec le temps et un certain recul, la jeune femme avait appris à connaître cet être froid et quelque peu distant, refrénant jusqu'à la source l'étrange, et pourtant compréhensible, aversion qu'il suscitait en elle.
Il était pourtant évident que si à présent Noora appréciait l'homme, c'était avant tout parce que ses compétences en hôtellerie et en gestion frisaient avec insolence la perfection. Elle s'en était rendu compte rapidement, bien qu'au départ il fut maintenu en poste uniquement en raison de son amitié avec son défunt père. Elle était, par la suite, parvenue à la conclusion qu'il lui serait tout bonnement impossible de se séparer de lui, son outrageuse perfection la soulageant d'un poids incommensurable dans la conduite de ses affaires.
Les années passant, elle avait même fini par s'attacher à lui, préservant ce qu'elle appelait faute de mieux leur entente cordiale. Bref, Stirling faisait parti des murs et bien mal lui en prendrait si elle venait un jour à vouloir se passer de ses précieux services.
Elle darda un instant son regard clair sur l'agitation qui couvait dans le hall, extrapolant quelques secondes sur la quantité de travail qu'il restait encore à fournir pour être fin prêt avant le gala. La conclusion la fit grimacer. Ce coup de fil tombait vraiment mal, additionné à cela, l'anonymat du demandeur la mettant quelque peu mal à l'aise. Cependant, il lui semblait avoir une vague idée sur l'identité de la personne à laquelle Stirling faisait référence.- Vous avez bien fait. » Lui répondit-elle en lui adressant un regard d'assentiment. Je vais prendre l'appel immédiatement. »Acheva-t-elle en se dirigeant vers la partie réservée au personnel.
La jeune femme poussa la porte qui menait à la zone privée, frôlant une gouvernante alors qu'elle remontait le couloir marbré jusqu'à son bureau. Elle en déverrouilla la porte et s'installa dans le fauteuil de cuir qui trônait derrière un immense bureau de merisier rouge.
Avec le temps, elle ne faisait plus guère attention à l'aménagement savamment orchestrée de la pièce. Son père l'avait aménagé selon ses propres goûts, mariant avec un art certain les meubles de bois ancien et la décoration art-déco qu'il affectionnait tant. De larges fenêtres, dont quelques unes étaient ornées de vitraux des années 20, conféraient à l'endroit une luminosité toute particulière, tout en préservant ses occupants de l'aveuglement. Des plantes en pot de différentes espèces étaient disposées ça et là, avec pour effet recherché d'apaiser ceux qui se retrouvaient ici.
Noora se saisit du téléphone, enfonça une touche pour prendre l'appel et posa le combiné sur son oreille. La tonalité de la voix qui s'exprima aussitôt lui donna raison d'avoir opté pour la confidentialité, plutôt que d'avoir choisi le haut-parleur.
Après quelques banalités échangées, son visage se fit soudainement sérieux. Une préoccupation toute autre que celle qui l'assaillait quand aux préparatifs de la soirée crispa ses traits délicats et l'échange se fit soudain plus tendu et inquiet. Plusieurs fois, elle demanda à son interlocuteur de répéter, quémandant des détails qu'il paraissait bien en peine de lui donner. Quelques minutes plus tard, la conversation s'acheva et la gérante raccrocha, demeurant interdite.
Voilà qui allait sensiblement compliquer les choses.
Un quelconque observateur n'aurait manqué de noter le changement qui s'était opérer en elle. Plus que de l'inquiétude ou du stress, c'était bel et bien de la peur qui filtrait à présent de sa personne, et ce malgré toute la maîtrise dont elle savait habituellement faire preuve. Se mordillant la lèvre, elle se mit à parcourir d'un doigt le répertoire virtuel du téléphone, effleurant les œillets bleutés de l'hologramme pour chercher un numéro.
Une fois trouvé, elle lança l'appel. Ce dernier risquait de réveiller sa correspondante, mais c'était là le cadet de ses soucis. Il semblerait bien qu'à partir de maintenant, les grasses matinées de cette dernière ne deviennent un lointain souvenir.